Saltafossi #8 : nouvel an, vieille rengaine

Saltafossi est publiée depuis un an : on a commencé avec la loi immigration, on termine avec elle. Des développements qui laissent peu de perspectives pour 2024...

Saltafossi
3 min ⋅ 03/01/2024

Édito

Cela fait presque un an que j’ai commencé à écrire Saltafossi. Le premier épisode de cette newsletter, publié en février 2023 avec Ginkio Topics (qui a depuis disparu), portait sur la loi immigration. À l’époque, la loi venait d’être présentée, on parlait encore de texte du “en même temps”, de l’accueil pour les uns et de la fermeté pour les autres. Les discussions tournaient autour de la régularisation par le travail, et les personnes que j’avais interrogé pour la newsletter parlaient d’une volonté de main d’œuvre peu chère.

Il est intéressant de voir comme dans le temps d’une année, les événements ont précipité, au prisme du vote sur la loi immigration. Il y a beaucoup de raisons qui ont participé à cela, la plupart extérieures aux processus migratoires eux-mêmes, des équilibres politiques au besoin de consensus du gouvernment après l’année qui vient de passer. Reste le résultat final : le 19 décembre 2023 sera remémoré comme le jour où l’extrême droite a inscrit ses principes dans les lois de la République. Le jour où le deuxième mandat Macron s’est fragilisé plus que jamais. Le jour, surtout, où la vie de millions d’étrangers a basculé un peu plus dans l’incertitude, la précarité, la marginalisation, l’absence de droits.

La loi immigration, votée et adoptée par l’Assemblée nationale après un passage en Commission mixte paritaire (CMP) mardi 19 décembre, concerne tous les étrangers hors Union Européenne sur le sol français.
Je ne vous refais pas tout l’historique de cette loi présentée comme “équilibrée” et devenue de plus en plus dure au fil du temps. En dernière lecture, elle contient des principes qui vont tout simplement rendre plus difficile la vie des étrangers en France. Fin du droit du sol, regroupement familial compliqué, prestations sociales conditionnées à la durée de séjour, titres de séjour “étudiant” (encore) plus difficiles à obtenir, restriction d’accès au titre de séjour “étranger malade”… D’autres (ici Médiapart) ont résumé mieux que moi les droits bafoués par cette loi. Il y a surtout cet article, celui qui était censé garantir “l’équilibre” de cette loi : la régularisation des travailleurs.es sans-papiers dans les secteurs “en tension”. L’article traduisait déjà une vision des immigré.es inhumaine, des outils de production, comme a bien expliqué cet éditorial de Guiti news. Mais, pour la droite, il était simplement inacceptable. Voilà où s’est jouée la partie de cette loi : cet article a été profondément changé, rendant désormais la régularisation discrétionnaire. Les préfets auront pouvoir de l’accorder ou pas, à leur bon vouloir.

En attendant, on perd collectivement un peu plus nos droits, nos marges de manœuvre, nos faculté de survivre et de vivre bien, ensemble, en paix. Cette loi désigne l’étranger comme ennemi. Ni plus ni moins. Il est vital de s’y opposer. Si quelque chose peut émerger de cette séquence politique de l’horreur, ce sont des nouveaux engagements, des nouvelles luttes, des nouvelles désobéissances, des nouveaux liens. La Marche des solidarités a déjà annoncé un calendrier de lutte pour les premières semaines de janvier, dans l’espoir de faire reculer cette réforme. Jeudi 3 janvier, le réseau de collectifs a convoqué une assemblée générale de mobilisation, à 18 h 30 à la flèche d’or à Paris. Vendredi 5 janvier, le tour à une manifestation, au départ de place de la République à 16 heures. Samedi 6 et dimanche 7, la Marche et les collectifs des sans papiers proposent à tous les collectifs intéressés d’organiser des initiatives dans tous les quartiers et les villes de France.

Au cours de l’année, cette newsletter s’est souvent tournée vers les luttes des étrangers et des personnes sans-papiers, avec tout l’espoir qu’elles portent. Tout cela malgré les galères dans lesquelles sont plongé.es les exilé.es, contraint.es de dormir dans des campements (Saltafossi #3), ou dont la minorité est mise en doute (#4), ou encore frappé.es par une justice à deux vitesses (une injustice qui frappe également les classes populaires et les personnes racisé.es, comme on l’a vu [#5] lors des révoltes qui ont suivi la mort de Nahel). Les luttes des sans-papiers face à l’injustice des frontières (#6), ou des conditions de travail comme dans le cas des grèves à Emmaüs (#7), portent l’espoir d’un monde meilleur, plus juste, plus solidaire et moins divisé, moins raciste. On est très loin de ce monde, mais on ne peut qu’essayer de le cultiver dans ces luttes. C’est tout ce que je peux nous souhaiter pour 2024.


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Saltafossi

Par Giovanni Simone

Journaliste en formation, j’habite en France depuis 2019. Je viens d’Italie.